Préliminaire 17: Pratique plurielle, Désir singulier
Réf.: preliminaire_17Editorial
Pratique plurielle, désir singulier : ce numéro 17 de Préliminaire, à qui s’adresse-t-il ? En premier lieu, il s’adresse aux personnes qui composent l’équipe de l’Antenne 110. Mettre par écrit les difficultés que l’on rencontre ou les trouvailles que l’on expérimente dans la pratique produit un texte qui se prête à la réflexion, à la discussion, voire à une forme particulière de contrôle. Ce numéro s’adresse ensuite aux collègues qui partagent dans d’autres institutions ou dans des cabinets privés la charge d’un travail si délicat, si difficile et si plein de responsabilité que comportent la tentative d’approche, la perspective d’une éclosion de la position subjective, la possibilité d’une inscription dans le monde social d’enfants et d’adolescents marqués par des troubles graves de la personnalité ou bien par l’autisme. Il s’agit là d’une manière d’informer mais aussi de se prêter au jugement, ou encore à la critique de la part de collègues qui ont des responsabilités semblables. Ce numéro s’adresse finalement aux parents des enfants que l’Antenne 110 accueille. Leur aide est toujours précieuse et la compréhension d’une méthode de travail favorise un climat serein et constructif qui élargit les chances d’une réinscription de ces enfants et adolescents dans un monde qu’ils ont perçu comme hostile.
Pourtant, j’aime penser que ce numéro s’adresse aussi à ceux qui ont le pouvoir de décider. J’entends par là ceux qui ont le pouvoir de décider par rapport à la politique actuelle concernant ces jeunes personnes qui sont dans la situation de ne pas pouvoir partager entièrement le monde de leurs copains et qui sont obligés de vivre dans un monde à part et bien protégé : les enfants et les adolescents dont l’Antenne 110 et bien d’autres institutions s’occupent.
Or, ceux qui ont le pouvoir de décider, dans la société où nous vivons, se retrouvent à plusieurs niveaux. Il y a le niveau qui est composé par ceux qui ont le pouvoir de décider parce qu’ils ont été démocratiquement élus aux instances législatives suprêmes et dont le droit et le devoir sont de promulguer les lois qui régissent la vie de la nation. Puis, il y a le niveau de ceux qui ont le pouvoir de décider parce que leur tâche est celle de rendre exécutives les lois elles-mêmes, tâche qui revient aux instances gouvernementales. Il y a enfin un troisième niveau, composé par les personnes dont la tâche est l’administration de l’Etat, à savoir l’organisation des règlements pour que les lois soient applicables et opératoires. Voilà donc esquissé le triple niveau de ce que l’on appelle la vie politique et administrative.
Mais comment les politiques et les administratifs font-ils pour prendre leurs décisions ? Platon préconisait, dans sa République, que les personnes en cause aient ce qu’il faut de sagesse, d’intelligence et de prudence, couronnées, comme on le souhaite toujours, de justice équitable. Peut-être cela aurait-il été suffisant du temps de Platon, bien que nous sachions trop bien le degré d’utopie, voire de dérision, dans le propos du philosophe lui-même. De toute façon, dans notre monde à nous, les coordonnées platoniciennes ne sont plus suffisantes. Il est obligatoire d’avoir recours à la science, celle qui ne se confond pas avec les opinions, toujours passablement vraies et fausses à la fois. La science et les hommes de science : voilà repérés les experts pour éclairer ceux qui ont le pouvoir de décider. Pourtant, qu’ils n’oublient pas – je parle aux politiciens et aux administratifs – que la science pour être telle ne se cantonne pas dans un savoir qui serait autoréférentiel : elle requiert, de sa propre nature, la discussion publique, le débat ouvert, le doute en son sein. C’est la raison pour laquelle à propos d’arguments si délicats comme ceux qui concernent la vie et la santé, il ne suffit pas de confier la solution à des soit-disant experts. Problème crucial de nos jours où nous savons tous que ce que l’on appelle le discours de la science est devenu un domaine particulier d’un autre discours, à savoir le discours économique. Aujourd’hui, en fait, la science est un facteur de l’économie.
A toutes ces personnes, nous adressons ce numéro de Préliminaire. Il s’agit d’un ensemble de travaux faits sur le terrain par les membres d’une équipe, qui, informés de ce que la psychanalyse enseigne de la structure de l’être humain, de ses difficultés et des moyens pour y faire face, mettent en oeuvre leur savoir-faire, chacun dans le style qui lui est propre, tout en partageant le même désir avec la perspective que chaque enfant et adolescent dont ils ont la charge puisse se retrouver sujet de sa vie, de son histoire et de son monde.
Antonio Di Caccia
Table des matières
Note éditoriale par Antonio di Ciaccia - 7
Clinique pragmatique en institution
La valise à trouvailles (Françoise Dewachter) - 13
Amorce d'une séparation (Sabine Harckman) - 21
Rencontre provoquée (Chantal De Meulenaere) - 27
Est-ce que toutes les personnes de la planète s'appellent Nina ? (Béatrice Boudard) - 33
Un père sévère ne suffit pas (Sina Foroughi) - 43
Votre loi, c'est du toc (Pierre Jacobs) - 49
Espace et discontinuités (Cédric Detienne) - 55
Psychanalyse et institution
Lorsque l'enfant consent à l'Autre (Danielle De Vroede) - 71
La sauvegarde de la psychanalyse appliquée en institution (Bruno de Halleux) - 81
Scuola e psicoanalisi
Une école où l'on compte... jusqu'à quatre ! (Virginio Baio) - 89
Les billes (Noëlle De Smet) - 95
La Chimère (Claire Piette) - 101
Echos d'ailleurs
A propos de La cura del bambino autistico de Martin Egge : La pratique à plusieurs (Fernando Mattozzi) - 115
A propos de Sortir de l'autisme de Jacqueline Berger : L'autisme, une maladie du lien (Hélène Van Kerckhove) - 119